Le train (pièce en deux temps)
PROLOGUE :
Un soir d'été, une gare. Celle de Metz.
Il est tard, on a traîné dans les rues de la ville, entre amies le temps passe vite au point qu'on ne réalise pas qu'il est déjà l'heure. Je rate mon bus. Gren prend le train car elle n'aime pas le bus. On convient donc que j'ai autant prendre le train, ça prolongera la journée, plutôt que de faire le trajet chacune de notre côté comme habituellement. Il fait beau, j'ai le temps.
Au guichet de la gare, il y a foule. Pas grave, la machine est là qui me tend les bras. J'entre les données : un aller, Metz pour biiiiip, la machine me demande si j'ai une réduction. Oh que ouiche, j'ai droit au tarif découverte 18/25 ans, autant en profiter tant qu'il est encore temps ! (ça rime en plus ^^). Au final, "elle" me demande de lui insérer 3€. Ce que je fais. Pendant qu'"elle" s'échine à imprimer laborieusement le ticket de transport, on papote.
Je récupère mon sésame, le composte. Gren a un abonnement, pas besoin. Le quai est noir de monde. Le train ne tarde pas, et on réussit à trouver deux places assises sans lutte, notre train n'est pas celui qu'attendaient tous ces gens visiblement.
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Je vais raconter la suite de ce trajet en deux temps, ce qui s'est passé, et ce qui aurait pu se passer. Voici donc la suite de la pièce en deux actes. Pièce en deux temps, où l'honnête cède sa place à l'autre. Mais laquelle considère-t-on comme l'honnête? Laquelle est l'autre? Qui victimise-t-on?
ACTE 1 :
Le contrôleur arrive. C'est une femme, jeune. Elle vérifie l'abonnement de Gren et n'y trouve rien à redire. Puis se tourne vers moi. Toujours souriante, je lui tends mon ticket ; elle l'observe, son regard change. Je ne suis plus simple voyageuse mais sur le banc des accusés.
- Votre ticket n'est pas conforme, nous sommes en période blanche et en période blanche la réduction 18/25 ans ne peut pas s'appliquer.
Etonnée, j'explique, la machine n'a rien dit, je suis désolée, je paye la différence si il faut. Toujours polie. Mes parents mon bien élevée. M'ont élevée tout court.
- Vous avez fraudé. Vous avez payé votre voyage 3€ au lieu de 3€10, il manque 10 centimes. Je vous fais payer un nouveau ticket et 10 € d'amende pour fraude, payable de suite.
J'explique, je m'excuse, je garde mon sang froid malgré tout, pour 10 centimes bordel, je suis de bonne foi. Elle ne m'écoute pas. Je sens que je m'énerve. Gren le voit et avant que je puisse dire quoi que ce soit elle me recadre. Elle me connaît, c'est pas ma meilleure amie pour rien.
Je paye. Aux 3€ du ticket à la machine s'ajoutent les 3€10 de mon nouveau ticket conforme ainsi que les 10€ de l'amende. Total : 16€10. Je suis étudiante. Je suis de bonne foi, je n'ai jamais voulu frauder, et encore moins pour 10 centimes, somme dérisoire qui ne permet même plus l'achat d'un malabar. Cet argent j'aurais pu en faire plein de choses. Ca fait mal. La contrôleuse me dit que je pourrais toujours réclamer à celle qui dit tout mettre en oeuvre pour nous faire préférer le train.
Je descend en gare de biiiiiip, une migraine atroce me vrille les tempes, je suis livide de rage. Gren me retient quand je décide d'aller parler au responsable de la gare ; il est seul dans le bâtiment et c'est un mur, il ne comprend rien. Elle le sait et par conséquent sait que ça ne fera que m'énerver encore plus.
Je rentre chez moi.
J'écris à la SNCF.
Je n'ai jamais eu droit à une ligne de réponse.
Je suis une citoyenne, je vote, je paye. Cela n'intéresse personne qu'on m'aie delesté de 16€10.
ACTE 2 :
Le contrôleur arrive. C'est une femme, jeune. Elle vérifie l'abonnement de Gren et n'y trouve rien à redire. Puis se tourne vers moi. Fais chier celle-là. Suis fliquée partout dans ce pays. Je lui tends mon ticket ; elle l'observe, son regard change. Elle sait d'avance ce qui va suivre.
- Je suis sincèrement désolée du fond du coeur, mais c'est mon travail de vous dire que votre ticket n'est pas conforme, nous sommes en période blanche et en période blanche la réduction 18/25 ans ne peut pas s'appliquer.
Je me lève et lui décroche un direct du droit dans le nez. Le sang gicle. Je suis en terrain connu. Elle tombe. Je la piétine, elle n'a qu'à se relever pour voir ! Mes amis se lèvent et commencent à tout casser dans le train. Ils me soutiennent, ce sont des vrais amis. Les vitres volent, les sièges flambent.
Demain, la presse parlera de moi comme d'une victime. Pourquoi m'a-t-on contrôlée? Pourquoi m'empêche-t-on de me déplacer librement?
Des personnalités politiques me défendront.
On dira que je suis une citoyenne, une victime de la société.
EPILOGUE :
Qui a eu raison? Qui a eu tort? A qui donne-t-on raison? A qui donne-t-on tort?
Je suis née en septembre, en mai 2002 je n'avais donc pas encore mes 18 ans. J'ai milité activement pour que les gens aillent chercher leur carte. J'ai tanné les gens autour de moi pour qu'ils n'oublient pas le 1er tour. C'est donc d'autant plus bizarre à écrire, mais aujourd'hui je n'ai plus envie de m'intéresser à tout ce cirque. Je n'ai plus envie de voter.