Coué en pratique
- Mouais. Je ne suis pas sûre que tout le monde y croie, ni que chacun y trouve son compte, mais bon, on verra bien comment ça se passe! ça se trouve ça sera bien hein!
Il m'a été donné d'entendre cette phrase tant soit peu fataliste au marché, alors que j'attendais patiemment mon tour, au milieu des étals et de la profusion de choix, des salades, des pommes de terre nouvelles - les patates disent les mosellans -, des barquettes de fraises en provenance du Maroc à la traître rougeur flamboyante mais qui n'ont pour parfum qu'un insipide goût d'eau, et des fières bananes de la Martinique, regardez mes beaux poireaux, ils sont beaux mes poireaux !, cinq-fruits-et-légumes-par-jour, quand est-ce qu'il va enfin faire beau ?. Quelques grappes de raisin font de la résistance, outsiders auto-désignés au vu la somme prohibitive qu'affiche l'ardoise glissée entre les plis du carton.
La discussion est animée entre quelques vieux, apparemment retraités de la sidérurgie, et le primeur.
- Moi j'y crois absolument pas, ce que disent les journaux, c'est juste une annonce pour qu'ils se taisent et basta!
L'homme qui parle ainsi a le visage empourpré de son ressenti et un solide accent italien ; c'est bien le seul qui ne croie pas à ces belles promesses vites relayées par les journaux tel des annonces messianiques. En tout cas, c'est le seul qui le dit. Les autres temporisent et multiplient les arguments positivistes ; une telle somme investie signifie clairement l'attachement à la sidérurgie lorraine, Sarkozy a dit qu'il ferait quelque chose, chiaro quand il aura autre chose à faire che partir en ouiké-éndé, tout le monde aura une place, il y en aura pas pour tout le monde, personne ne pense aux sous-traitants, tanto ça changera pas de ce qu'on a vécu nous...
Un ange passe.
Et puis l'évocation.
Ce qu'ils ont vécu, eux, c'est le plein emploi, les trois postes, les heures sup' pour nourrir le petit dernier né en France lui, les copains, les troquets et la coop propriétés des usines, les fumées noires, la camaraderie sans le racisme, les habits du dimanche et ceux de la semaine, le charbon gratuit mais de piteuse qualité qui ne s'allumait pas, les tomates qu'il fallait brosser pour ôter la poussière noire ; et puis les promesses, le changement de ton, le ciel qui se fait plus clair au sens propre mais inexorablement toujours plus noir au sens figuré, les palaces du patronat, le manque de fonds, les suppressions d'emploi, le « Cœur d'acier » fondu ; et puis la préretraite, le jardin, les parties de cartes, l'amiante mais non c'est pas ça voyons c'est inoffensif c'est le tabac voilà tout d'accord dottore, ceux qui partent, ceux qui meurent, les demi-retraites des veuves, les maisons qui se lézardent, le chômage tout autour, les usines qu'on démantèle pour vendre à la découpe. Les silences. L'expo à la « gloire » des anciens dirigeants. Le chômage des jeunes. La résignation, maintenant. Et tout ce qu'on gobe comme salades !
Est-ce une coïncidence si Coué est Lorrain ?
Sa méthode est amplement utilisée en tout cas ...